La majoration à tort du délai d’instruction n’empêche pas la naissance d’un permis tacite
Dans un arrêt rendu il y a quelques semaines, le Conseil d’Etat a transposé cette règle à l’hypothèse dans laquelle le service d’instruction a majoré, à tort, le délai d’instruction (CE 24/10/2023, n° 462511, Publié au recueil Lebon).
Dans cette affaire, le maire d'Aix en Provence (Bouches-du-Rhône)a refusé de délivrer un permis de construire régularisant la construction d'une serre agricole. Le pétitionnaire attaque ce refus soutenant qu’il s’agit d’un retrait d’un permis tacitement délivré (et donc illégal car le maire ne lui a pas permis de présenter ses observations avant le retrait). En effet, selon lui, le maire a majoré illégalement le délai d’instruction. Donc au terme normal de celui-ci, est né un permis tacite. Rappelons que " le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction " (art. L. 424-2, code de l’urbanisme). Le code détermine les délais d’instruction : par exemple, il est de deux mois en principe pour les demandes de permis portant sur une maison individuelle (art. R. 423-23). Lorsque le service d’instruction reçoit la demande de permis, il délivre un récépissé sur lequel il porte connaissance au pétitionnaire du délai d’instruction. S’il modifie le délai d’instruction, il le notifie dans le mois qui suit le dépôt de la demande. Le récépissé prévoit la date à laquelle un permis tacite doit intervenir ou, dans le cas d'une déclaration préalable, la date à partir de laquelle les travaux peuvent être entrepris (art. R. 423-4).
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge donc qu’une modification du délai d'instruction notifiée après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article R. 423-18 ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l'une des hypothèses de majoration prévues aux articles R. 423-24 à R 423-33 du même code, n'a pas pour effet de modifier le délai d'instruction de droit commun à l'issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. (CE 24/10/2023, n° 462511, Publié au recueil Lebon).
Observation : le Conseil d’Etat abandonne une jurisprudence de 1982 dans laquelle il avait jugé, au contraire, que la lettre indiquant que le délai d’instruction devait être majoré était un acte susceptible de recours (CE 22/10/1982, Société Sobeprim, n° 12522, publié au recueil Lebon). Elle ne l’est plus désormais.
Marc GIRAUD le 23 novembre 2023 - n°466 de Urbanisme Pratique

Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’arrêté du 19 avril 2018 par lequel le maire d’Aix-en-Provence a refusé de lui délivrer un permis de construire régularisant la construction d’une serre agricole sur un terrain situé aux Milles, à Aix-en-Provence, et d’enjoindre au maire de cette commune de lui délivrer, sous astreinte, le certificat prévu à l’article R*424-13 du code de l’urbanisme.
Par un jugement n° 1808619 du 18 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 19MA05787 du 20 janvier 2022, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par M. B....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 15 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B... demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 20 janvier 2022 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses demandes ;
3°) de mettre à la charge de la commune d’Aix-en-Provence la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
….
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a déposé, le 29 décembre 2017, une demande de permis de construire en vue de régulariser la construction d’une serre agricole sur le territoire de la commune d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Par un courrier du 23 janvier 2018, le maire de la commune l’a informé de ce que le délai d’instruction de sa demande était majoré d’un mois et qu’en l’absence de réponse avant le 29 avril 2018, il bénéficierait d’une autorisation tacite. Par un arrêté du 19 avril 2018, le maire a refusé d’accorder le permis sollicité. M. B... a demandé au tribunal administratif de Marseille l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision et qu’il soit enjoint au maire, sous astreinte, de lui certifier, en application de l’article R*424-13 du code de l’urbanisme, qu’il est titulaire d’un permis de construire tacite. Par un jugement du 18 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. M. B... se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 20 janvier 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel contre ce jugement.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d’État. / (...) / Aucune prolongation du délai d’instruction n’est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret. / (...) ». Selon l’article L. 424-2 du même code, « Le permis est tacitement accordé si aucune décision n’est notifiée au demandeur à l’issue du délai d’instruction ».
3. Le délai d’instruction des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et des déclarations préalables est, selon l’article R* 423-18 du code de l’urbanisme, déterminé dans les conditions suivantes : « a) Un délai de droit commun est défini [à l’article R. 423-23]. En application de l’article R. 423-4, il est porté à la connaissance du demandeur par le récépissé ; / b) Le délai de droit commun est modifié dans les cas prévus [aux articles R. 423-24 à R. 423-33]. La modification est notifiée au demandeur dans le mois qui suit le dépôt de la demande ; / c) Le délai fixé en application des a ou b est prolongé dans les cas prévus [aux articles R. 423-34 à R. 423-37-3], pour prendre en compte des obligations de procédure qui ne peuvent être connues dans le mois qui suit le dépôt de la demande ». D’une part, l’article R*423-4 du même code prévoit que le récépissé de la demande de permis ou de la déclaration préalable précise la date à laquelle un permis tacite doit intervenir, en application du premier alinéa de l’article L. 424-2, ou, dans le cas d’une déclaration préalable, la date à partir de laquelle les travaux peuvent être entrepris. Ce récépissé précise également, en application de l’article R.*423-5 du même code, que l’autorité compétente peut, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier : « a) Notifier au demandeur que le dossier est incomplet ; / b) Notifier au demandeur un délai différent de celui qui lui avait été initialement indiqué, lorsque le projet entre dans les cas prévus aux articles R. 423-24 à R. 423-33 ; / (...) ». D’autre part, aux termes de l’article R*423-42 du même code : « Lorsque le délai d’instruction de droit commun est modifié en application des articles R. 423-24 à R. 423-33, l’autorité compétente indique au demandeur ou à l’auteur de la déclaration, dans le délai d’un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie : / a) Le nouveau délai et, le cas échéant, son nouveau point de départ ; / b) Les motifs de la modification de délai ; / c) Lorsque le projet entre dans les cas prévus à l’article R. 424-2, qu’à l’issue du délai, le silence éventuel de l’autorité compétente vaudra refus tacite du permis. / Copie de cette notification est adressée au préfet ». Et aux termes de l’article R*423-43 du même code : « Les modifications de délai prévues par les articles R. 423-24 à R. 423-33 ne sont applicables que si les notifications prévues par la présente sous-section ont été faites. / (...) ». Enfin, aux termes de l’article R*424-1 du même code : « A défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III [du titre II du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme], le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas : / a) Décision de non-opposition à la déclaration préalable ; / b) Permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir tacite ».
4. Il résulte de ces dispositions qu’à l’expiration du délai d’instruction tel qu’il résulte de l’application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l’urbanisme relatives à l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. Une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. S’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
Sur le pourvoi :
5. En premier lieu, la décision de refus de permis de construire ne trouve pas sa base légale dans la lettre du 23 janvier 2018 majorant le délai d’instruction de la demande de M. B..., laquelle n’est pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, et n’est pas prise pour son application. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen invoquant, par voie d’exception, l’illégalité de la lettre du 23 janvier 2018 informant M. B... de la majoration du délai d’instruction de sa demande doit être écarté.
6. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le bien-fondé de la prolongation du délai d’instruction était par lui-même sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
7. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. B... doit être rejeté.
….
Décide :
Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : M. B... versera à la commune d’Aix-en-Provence la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la commune d’Aix-en-Provence.
Référence : Arrêt du Conseil d’État n° 462511 du 24 octobre 2023.
Urbanisme pratique n° 466 du 23 novembre 2023.
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