Un bâtiment agricole peut être autorisé en dehors des espaces urbanisés sans qu’il soit nécessaire de vérifier la viabilité de l’exploitation
Michel Degoffe le 07 avril 2022 - n°430 de Urbanisme Pratique
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A..., Mme H... F... épouse B..., la SARL Doproma et M. E... G... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2018 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a délivré à l'EARL C... Gilles et Sylvie un permis de construire pour la réalisation d'un bâtiment agricole destiné à l'élevage de 39 000 poules pondeuses en volière sur un terrain situé lieudit "Lescloupet" à Saint-Martin-de-Beauville.
Par un jugement n° 1800846 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 août 2019, Mme A..., Mme F... épouse B..., la SARL Doproma et M. G..., représentés par Me Tandonnet,
demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 juillet 2019 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2018 du préfet de Lot-et-Garonne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Considérant ce qui suit :
Par un arrêté du 22 janvier 2018, le préfet de Lot-et-Garonne a délivré à l'EARL C... Gilles et Sylvie un permis de construire pour la réalisation d'un bâtiment agricole destiné à l'élevage de 39 000 poules pondeuses en volière, d'une surface de plancher de 3 563 mètres carrés, sur un terrain d'une superficie de 191 190 mètres carrés, situé lieudit "Lescloupet" à Saint-Martin-de-Beauville (Lot-et-Garonne) sur les parcelles cadastrées ZB n° 25 et n° 26. Mme A..., Mme F... épouse B..., la SARL Doproma et M. G... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de ce permis de construire. Ils relèvent appel du jugement du 16 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-8 du code de l'urbanisme : " Le projet architectural comprend une notice précisant : " 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants ; 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; b) L'implantation, l'organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; c) Le traitement des constructions, clôtures, végétations ou aménagements situés en limite de terrain ; d) Les matériaux et les couleurs des constructions ; e) Le traitement des espaces libres, notamment les plantations à conserver ou à créer ; f) L'organisation et l'aménagement des accès au terrain, aux constructions et aux aires de stationnement. ". Selon l'article R. 431-10 du même code : " Le projet architectural comprend également : (...) c) Un document graphique permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain. d) Deux documents photographiques permettant de situer le terrain respectivement dans l'environnement proche et, sauf si le demandeur justifie qu'aucune photographie de loin n'est possible, dans le paysage lointain. Les points et les angles des prises de vue sont reportés sur le plan de situation et le plan de masse ". Les insuffisances ou omissions entachant un dossier de demande de permis de construire ne sont, en principe, susceptibles de vicier la décision prise, compte tenu des autres pièces figurant dans ce dossier, que si elles ont été de nature à affecter l'appréciation à laquelle se sont livrées les autorités chargées de l'examen de cette demande.
Il ressort des pièces du dossier, que la notice de présentation, jointe à la demande de permis de construire, mentionne que la parcelle est située à plus d'un kilomètre du village dans un paysage rural constitué de bâtiments d'exploitation, de champs ainsi que de quelques habitations plus ou moins anciennes, que les parcelles voisines constituent des champs et que le bâtiment le plus proche est à plus de 100 mètres. La même notice précise également que le projet se situe dans une zone vallonnée, indique les dimensions du bâtiment, la nécessité d'un déblai de 5 mètres et l'existence d'un remblai de 2 mètres ainsi que les matériaux employés. En outre, le plan de situation et la vue aérienne joints font apparaître les constructions alentour, qui ne figurent pas sur le plan de masse en raison de leur distance au projet. Si la notice ne décrit pas les plantations existantes, celles-ci figurent précisément sur le plan de masse, qui fait également apparaître la plantation d'une haie le long de la voie communale. Enfin, les plans qui mentionnent les pentes autour des bâtiments permettent de constater que ceux-ci seront en partie masqués par le remblai. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le document graphique n° 1, sur lequel figure notamment la maison de Mmes A... et F... épouse B..., et les trois photographies du dossier permettent d'apprécier l'insertion du projet dans son environnement proche et lointain, par rapport aux constructions avoisinantes et son impact visuel. Par suite, compte tenu de l'implantation du projet dans un secteur à vocation agricole peu densément construit, et alors que les autres pièces du dossier de demande de permis peuvent suppléer le caractère succinct de certains des éléments fournis, les dispositions des articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l'urbanisme n'ont pas été méconnues.
En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme : " En l'absence de plan local d'urbanisme, de tout document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions ne peuvent être autorisées que dans les parties urbanisées de la commune. ". Aux termes de l'article L. 111-4 : " Peuvent toutefois être autorisés en dehors des parties urbanisées de la commune : (...) 2° Les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole, à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées (...) ".
Ces dispositions interdisent en principe, en l'absence de plan local d'urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers ou de tout document d'urbanisme en tenant lieu, les constructions implantées " en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune ", c'est-à-dire hors des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Il s'ensuit que les constructions ne peuvent être autorisées en dehors de ces espaces, sauf dans le cas où elles relèvent des exceptions expressément et limitativement prévues par l'article L. 111-4, qui incluent les installations nécessaires, notamment, à l'exploitation agricole ou forestière.
Il ressort des pièces du dossier que le projet a été autorisé en dehors des parties urbanisées de la commune au regard de l'activité existante de M. C... qui recouvre 11 hectares de grandes cultures et prairies ainsi qu'un élevage de bovins et au regard de son projet de diversification d'activité par la création d'un élevage avicole. Il ressort également des pièces du dossier que le bâtiment projeté est cohérent avec ce projet et que cette extension d'activité a pour objet de permettre d'intégrer les enfants du couple au sein de l'exploitation en générant des revenus supplémentaires. Dans ces conditions, le projet doit être regardé comme étant nécessaire à l'activité agricole de M. C... au sens des dispositions précitées, lesquelles n'impliquent ni de démontrer le caractère indispensable du projet pour la pérennité de l'exploitation agricole, ni d'établir qu'une implantation ne serait pas possible sur une autre parcelle de cette exploitation. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 4 doit être écarté.
En troisième lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".
S'agissant des conditions d'accès, les requérants se prévalent de l'avis défavorable du maire en raison de l'étroitesse des routes de desserte et de l'implantation de la voie d'accès à proximité d'une intersection avec une faible visibilité. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la vue est dégagée à proximité du carrefour et que le chemin communal au début duquel se situe l'accès au projet se termine en impasse et ne dessert que quatre habitations. Si les requérants invoquent sans plus de précisions l'intensité du trafic de poids-lourds généré par ce projet, il ressort des pièces du dossier que ce trafic ne consisterait qu'en deux ramassages d'œufs et une livraison d'aliment par semaine. Ainsi, la dangerosité alléguée des accès n'est pas établie.
S'agissant des moyens de défense contre l'incendie, il ressort des pièces du dossier que le SDIS a donné un avis favorable au vu de l'existence d'une réserve artificielle située à proximité du projet. Les critiques des requérants sur la disponibilité de cette ressource en eau ne sont pas étayées alors qu'il ressort au contraire des pièces du dossier que cette réserve appartient au pétitionnaire, qui indique qu'elle est largement excédentaire par rapport à ses besoins d'irrigation et qu'il s'engage à ne pas la vider.
Dans ces conditions, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions citées au point 7 en accordant le permis de construire contesté.
En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
Il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux est implanté dans un environnement essentiellement agricole, qui ne présente pas d'intérêt paysager ou architectural particulier. Les photographies versées aux débats montrent que l'exploitation des pétitionnaires, qui comporte des bâtiments de grande taille se trouve à proximité du terrain d'assiette. Dans ces conditions, et alors même que les dimensions de la construction projetée sont importantes et que celle-ci sera visible depuis l'habitation de Mmes A... et F... épouse B..., l'arrêté en litige n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme.
Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Décide :
Article 1er : La requête de Mme A..., Mme F... épouse B..., la SARL Doproma et M. G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., Mme H... F... épouse B..., la SARL Doproma et M. E... G..., à la ministre de la transition écologique et à l'EARL C... Gilles et Sylvie.
Référence : Cour Administrative d’Appel de Bordeaux n° 19BX03581 du 10 décembre 2021.
Urbanisme pratique n° 430 du 7 avril 2022.
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